Les députées socialistes Karine Berger et Valérie Rabault ont déposé cette semaine un amendement n° 843 au projet de loi pour une République numérique d’Axelle Lemaire. Les élues voudraient que les FAI et les hébergeurs « ne bénéficient pas de la limitation de responsabilité prévue au même article lorsqu’ils donnent accès au public à des œuvres ou à des objets protégés par le code de la propriété intellectuelle, y compris au moyen d’outils automatisés ».
Pour les députées, « ces prestataires sont tenus d’obtenir l’autorisation des titulaires de droits concernés. Cette autorisation couvre les actes accomplis par les utilisateurs de ces services lorsqu’ils transmettent auxdits prestataires les œuvres ou objets protégés, afin d’en permettre l’accès visé au premier alinéa, dès lors que ces utilisateurs n’agissent pas à titre professionnel ».
En d'autres termes, avant de pouvoir mettre à la disposition du public une œuvre, ils doivent vérifier au préalable que les ayants droit ont donné leur autorisation. Un amendement qui ambitionne donc de « protéger les créations des auteurs », mais également de « préciser l’étendue de leurs droits sur les liens hypertextes ».
Les députées expliquent que « l’amendement appelle à redonner une protection à ces liens, en faveur des auteurs des contenus auxquels ils renvoient et les ayants droit, tout en sécurisant la position des non-professionnels ».
Une mesure qui cherche à contourner l’arrêt Svensson de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en 2014. Pour rappel, il s'agissait d'un litige opposant MM. Svensson et Sjögren ainsi que Mmes Sahlman et Gadd à Retriever Sverige AB au sujet d’une indemnisation qui leur serait due en compensation du préjudice qu’ils estiment avoir subi du fait de l’insertion sur le site Internet de cette société de liens Internet cliquables (« hyperliens ») renvoyant à des articles de presse sur lesquels ils sont titulaires du droit d’auteur.
Dans le verdict final, la CJUE avait alors rappelé que « le fait de fournir, sur un site Internet, des liens cliquables vers des œuvres protégées publiées sans aucune restriction d’accès sur un autre site, offre aux utilisateurs du premier site un accès direct auxdites œuvres ». Puis, se basant sur l’article 3, paragraphe 1 de la directive 2001/29, elle a avancé que « pour qu’il y ait « acte de communication », il suffit, notamment, qu’une œuvre soit mise à la disposition d’un public de sorte que les personnes qui le composent puissent y avoir accès sans qu’il soit déterminant qu’elles utilisent ou non cette possibilité ».
Et elle a conclu en estimant que « dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, le fait de fournir des liens cliquables vers des œuvres protégées doit être qualifié de « mise à disposition » et, par conséquent, d’« acte de communication », au sens de ladite disposition ».
En clair, la CJUE a estimé que le fait de fournir des liens cliquables vers des œuvres protégées ne doit faire l’objet d’une autorisation que si le lien hypertexte permet de contourner une mesure de protection qui aurait empêché à l'internaute d'accéder au même contenu autrement.
La députée Karine Berger a argumenté en disant « je souhaite par cet amendement inviter le Gouvernement à engager une réflexion sur le traitement juridique des liens hypertextes. Aujourd’hui, en raison d’une jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, un lien hypertexte renvoyant à une œuvre protégée par le droit d’auteur n’est pas soumis aux mêmes obligations que le site qui héberge le bien protégé par les droits de la propriété intellectuelle. Or, considérons les mécanismes de référencement de Google : ils reposent justement sur les liens hypertextes, et ce sont bel et bien des œuvres protégées par le droit de la propriété intellectuelle sur le site où elles sont publiées et auquel renvoie le lien hypertexte qui permet à Google de dégager une valeur ajoutée particulière. Autrement dit, certains opérateurs économiques d’Internet bénéficient de la valeur de certains biens et services culturels protégés par le droit de la propriété intellectuelle sans jamais rémunérer leur utilisation. L’amendement, en posant la question de savoir qui a la responsabilité de la captation de valeur par le biais des liens hypertextes, vise à renverser la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. C’est une question juridique et économique de première importance ».
La secrétaire d’État a alors avancé que « plusieurs pays européens – l’Allemagne pour ce qui concerne les liens hypertextes vers les articles de presse, l’Espagne, l’Italie… – ont tenté de s’attaquer à ce problème complexe, avec un succès, à chaque fois, très mitigé, car les organes de presse, qui visent aussi un bon référencement sur les moteurs de recherche, entretiennent des relations très ambiguës avec les plateformes concernées. C’est au niveau européen, lors de la révision de la directive relative au droit d’auteur qui s’engage cette année, que la question devra être posée. Dans ce cadre, le Gouvernement dira quelle suite doit être donnée aux conclusions du rapport du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique relative à l’articulation entre la directive sur le commerce électronique, qui fixe le régime de responsabilité des hébergeurs, et la directive relative au droit d’auteur. Il est prématuré d’apporter à cette question une réponse juridique au niveau national ».
Source : CJUE, Assemblée nationale (amendement n° 843), Assemblée nationale
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Le , par Stéphane le calme
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