Ce sujet n'est pas nouveau. Il est éminemment politique, il est important, c'est la raison pour laquelle je vais écrire ici encore une fois ce que j'en pense.
En préambule, je dois avouer que je travaille dans l'analyse de données à grande échelle; je travaille tous les jours sur les bases de données de la BCE et d'autres organismes et institutions européennes. Je suis donc en contact direct avec des données qui nous concernent tous, et je vis, au quotidien, les questions que posent l'exploitation de ces données.
Enfin, et ça peut paraître paradoxal pour ceux qui me connaissent un peu, je ne me positionne pas dans ce débat: je suis ni pour ni contre. Si j'interviens régulièrement sur ce sujet, c'est juste pour rappeler les vrais enjeux du débat.
L'argument qui dit "peu m'importe, je n'ai rien à cacher", passe à côté du problème. Les algorithmes qui parcourent nos pratiques quotidiennes (pas seulement les mails, et pas seulement sur internet) ignorent la morale et l'éthique. Vous pourriez écrire dans vos mails que vous aimez violer des enfants, ou même que vous le faites régulièrement, ça ne changera rien au problème.
De même que l'argument qui dit "j'en ai marre d'être appelé tous les jours par des commerciaux" passe également à côté du problème. Tout problème a une solution, et celui-là autant que les autres.
Le fond du problème se pose en deux points:
. les entreprises comme google sont en train de créer de nouveaux modèles économiques, impliquant de nouvelles ressources. Le défi consiste à évaluer les dangers de ces nouveaux modèles.
. la taille, et surtout l'influence, de ces entreprises est telle que leurs activités sont susceptibles d'avoir des conséquences extrêmement importante à l'échelle internationale. Il s'agit donc de déterminer le danger de ces activités, qui, par leur échelle, sont potentiellement catastrophiques.
Au fur et à mesure que les activités humaines évoluent, nous nous retrouvons confronté à de nouveaux dangers. Par exemple, le développement de la chimie industrielle nous a amené à prendre toute une série de précautions. Les entreprises sont
contraintes de respecter ces précautions par des lois. Certaines matières premières sont interdites car jugées trop dangereuses. Je pense que personne ici ne juge que ces interdictions n'ont pas lieu d'être et sont des manifestations d'une forme de totalitarisme moderne. C'est juste du bon sens.
Le cas des données personnelles et de la publicité ciblée est identique. La question n'est pas de savoir si on
peut interdire ou pas, mais si on
doit interdire ou pas. La question ne devrait pas être une question morale (liberté contre totalitarisme), mais une question politique, dans le sens d'une décision prise en fonction des dangers et des avantages de ces nouvelles activités. Les données personnelles représentent une nouvelle ressource, et je peux vous assurer que sa valeur est très élevée. De la même façon que l'on se pose la question de savoir si on autorise un nouveau produit chimique, nous devons nous poser la question de ce que l'on fait de cette nouvelle ressource. Se poser cette question nous amènera ni à son interdiction ni à son autorisation, mais à une règlementation.
Ce qu'il faut comprendre, c'est que le problème n'est pas de savoir si google lit mes mails à moi, mais de savoir s'il lit les mails de toutes les personnes qui m'entourent. Et le corolaire de cette question est de savoir ce qu'il en fait. C'est comme RAII le mal-nommé: le problème n'est pas l'allocation de ressources, mais leur libération. Ce qu'il faut comprendre c'est que c'est un problème collectif, politique; ce n'est pas, ce n'est plus, une question de morale et d'éthique individuelle. Et en tant que professionnels de l'informatique, nous avons un devoir citoyen de fournir une expertise sur ces questions, et pas des considérations morales, qu'il faut laisser aux citoyens (que nous sommes aussi, c'est pas faux). Bon par contre, il n'y a pas que les informaticiens, loin de là, qui sont impliqués professionnellement dans cette histoire. Mais nous avons notre mot à dire.
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