Ce lundi à Dubaï, Emirates Ababes Unis, des délégations de 193 pays se réunissent à huis clos pour discuter de la régulation et de la gouvernance d'Internet, lors du sommet international organisé par l'Union internationale des télécoms(UIT) -l’organe de l’ONU chargé de superviser les télécommunications internationales.
Baptisée Conférence mondiale sur les télécommunications internationales (WCIT-12), tous les Etats membres de l'UIT vont débattre pendant 11 jours sur les règles internationales à appliquer à Internet.
La date du traité fondateur de UIT (1988) montre l'urgence et la nécessité d'avoir un nouveau texte pour mieux aborder la révolution Internet.
Ce traité, vieux de plusieurs décennies doit nécessairement être mis à jours, en tout cas c'est ce que pensent les membres de UIT. Cette conférence va donc s'atteler à réviser le Règlement des Télécommunications Internationales(RTI).
Pour mémoire, l'UIT est également l'organisation mondiale la plus vielle, puisqu’elle a été créée en mai 1865 sous l'appellation d'Union Télégraphique Internationale. Elle a joué un rôle important notamment dans le cadre du développement des réseaux de téléphone, des systèmes satellites ou des communications mobiles.
Depuis plusieurs mois, bon nombre de pays portaient secrètement des propositions pour réviser le RIT.
Mais grâce au site WCIT Leaks, plusieurs propositions ont fuitées. Il fût découvert dans un document publié le 3 Novembre, que la Russie avait formulé un amendement qui entendait donner aux États membres « le droit souverain de gérer l'Internet au sein de leur territoire national, ainsi que de gérer les noms de domaines nationaux ».
Pour rappel, depuis le 1er Novembre la Russie se permet de bloquer des sites sans passer par la justice. La liste noire des sites bloqués en Russiese trouve dans un article.
L'amendement fût retiré depuis, mais ceci n'a pas enterré les soupçons autour de pays comme la Chine, la Russie ou l'Iran de vouloir menotter Internet.
Leurs propositions continuent d'ailleurs à aller dans ce sens. C'est ce que l'on voit dans le document proposé comme projet finale anticipé du future des RTIs . On y trouve un article très polémique : le 8A.4.
Celui-ci affirme que "les États ne doivent pas restreindre l’accès à Internet sauf dans les cas où la souveraineté nationale, la sécurité nationale, l’intégrité territoriale peuvent être remises en cause". Cette formulation est du coup très vague, ce que souligne les détracteurs de ce texte.
Pour eux, cet article autorise "les limitations à la liberté d’expression, le contrôle des activités d’opposants politiques et de la vie privée des citoyens. C'est ce que dénonce par exemple un des vice-présidents de fondation Mozilla, Harvey Anderson, dans un billet publié sur le blog de la fondation le 2 Décembre.
Google n'est pas non plus resté les bras croisés. Ces derniers mois, Vinton Cerf, son chef du web, chercheur considéré comme un des pères fondateurs du Net, à multiplié les sorites contre la WCIT.
En mai dernier, il déclarait au New York Times que "les décisions prises à Dubaï pourraient mettre des menottes à Internet". Il a récemment créé un portail dédié pour s'exprimer et faire agir.
Tout d'abord, il y conteste le cadre de Conférence WCIT2012. "L'UIT n'est pas le cadre adéquat pour prendre des décisions sur l'avenir d'Internet". Il critique ces gouvernements, réunis pour décider du futur de Internet, qui ne sont pas tous - loin s'en faut - pour un internet libre et ouvert.
Il ajoute que "un Internet libre et ouvert est nécessaire pour un monde libre et ouvert. Les gouvernements ne doivent pas décider seuls de son avenir. Les milliards d'internautes, ainsi que les experts qui le conçoivent, doivent également participer aux discussions.". Il a ensuite appelé dans un billet de blog les internautes à défendre un internet libre et ouvert en signant une pétition anti-WCIT baptisée #freeandopenweb.
Depuis le nombre de signatures ne cesse d'augmenter. Il est aujourd'hui de 2,500,000.
D'autres points très intéressants sont à souligner.
En regardant le programme publié sur le site de l'UIT pour la conférence de Dubaï, on constate que la délégation française est attendue mardi et mercredi matin, de 8h30 à 9h30.
Pourtant, "la France n’a toujours officiellement exprimé aucune position quant à la révision du RTI. En dépit de nos sollicitations régulières, le cabinet de la ministre déléguée à l’Économie numérique, Fleur Pellerin, n’a pas souhaité nous répondre, y compris ce matin" raportait hier nos confrères de PC Inpact.
N'oublions pas que fin d'octobre, la ministre avait lancé une consultation publique, qui a pris fin en novembre, pour préparer la proposition officielle de la France. Depuis, silence radio.
De nombreux experts s’accordent à dire que ces nouvelles propositions ne mèneront de toute façon pas à un internet amélioré, mais donneront à l’UIT la possibilité d'intervenir sur les questions de fiscalité, de cyber-sécurité et de filtrage des contenus Internet.
A la vue de ce document publié, les propositions vont effectivement bien au-delà des objectifs affichés d’harmonisation du réseau des télécommunications.
Une analyse profonde du document permet de remarquer des propositions « indécentes » de certains Etats visant à faire fonctionner Internet sur le modèle du réseau téléphonique international, c’est-à-dire en facturant les sites web en fonction de leur trafic et du temps de navigation à des tarifs fixés par l'Etat et leur fiscalité locale.
Par exemple, l'Algérie pourrait réclamer à Google ou à Facebook des taxes pour avoir proposé un contenu utilisé ou visité par les algériens. La question qui se pose, au cas où une telle proposition serait votée, est de savoir qui d'autres à part les seuls géants du Web, pourraient payer. Les nouveaux entrants seraient déjà morts.
L’European Telecommunications Network Operators (ETNO) quant à lui a fait des propositions tout aussi contestables autour du principe de "sending party pays".
Soupçonné d'être dirigé par le lobby des opérateurs Télecoms européens, l'ETNO veut profiter de cette refonte des RTI pour imposer un droit d'entrée sur les réseaux sociaux.
Selon lui, les fournisseurs de contenus (Youtube, Amazon, et autres) devraient payer une taxe pour pouvoir utiliser les réseaux. Dans un document de travail de recherches, intitulé "A Giant Step Backward or the Way Forward" Dr Rohan Samarajiva, (ancien régulateur des télécommunications au Sri Lanka) souligne que les propositions des membres européens de l'ETNO pourraient même entraîner un ralentissement des progrès économiques mondiaux. Un point de vue décryptées en long et en large dans un article sur le wiki de la Quadrature du net, groupement européen de défense des libertés en ligne qui rejete les idées de l'ETNO.
En réponse aux propositions de l'ETNO au WCIT, un document a été publié par cette même Quadrature du Net. Pour elle, les positions que doivent entreprendre la France et l'Unions Européenne lors du WCIT à Dubaï sont claires.
En premier lieu, sur "La gouvernance d'Internet et le rôle de l'UIT"; la Quadrature souligne notamment que le terme "Trafic Internet" n'a pas sa place dans la définition de "service internationaux de communications". Selon elle, seules les couches « physique » et « liaison » relèvent des compétences de l'UIT. Toute couche supérieure à celles-ci doit rester en dehors des discussions. (Et pourtant, au vu du document, on constate que le nouveau traité dépasse de loin ces idées de restreindre les compétences aux couches cités). "Tout amendement qui viserait à ce que le RIT fasse explicitement référence à Internet, au protocole IP (y compris à l’adressage et au routage) doit également être rejeté".
Même sur les sujets de cybercriminalité, de la cybersécurité, de la fraude, la rétention de données n'aurait pas sa place dans les articles définissant le champ de compétence de l'UIT.
En second, lieu la Quadrature du Net alarme sur "La neutralité du Net et l'interconnexion".
"La France et l'UE doivent rejeter les propositions d'ETNO sur la neutralité du Net (article 4.7) car elles sont contraires à la protection de la neutralité de l'Internet".Selon l'association, l'amendement indiqué empêcherait les États membres d'adopter des législations interdisant aux opérateurs de bloquer, ralentir, ou prioriser certains types de contenus, applications ou services, puisque la possibilité de fournir une qualité de service différenciée sur le réseau Internet serait explicitement garantie par l'UIT.
Enfin, dans son communiqué la Quadrature du net déclare que "la France doit défendre l'Internet libre sur la scène internationale"
La Tunisie quant à elle a lancé une proposition en faveur de la liberté d'expression et de la défense des droits de l'Homme comme l'indique un article publié sur le site du Ministère Tunisien des Technologies de l'Information et de la Communication.
Pour les pays en développement, l'UIT reste cependant une alternative à la toute puissance de l’ICANN qui gère les noms de domaines de l'internet. Mais d'autres experts soulignent aussi que les nouvelles propositions des RTI ne sont pas nécessairement toutes en faveur de ces pays en développement. Loin de là.
Vous pouvez suivre les actualités de la conférance sur Twitter avec le hashtag #WCIT12
Sources :
Annonce du WCIT sur le site officiel de UIT, Le blog dédié à la conférence, Le document sur le nouveau RIT, WCIT Leaks, L'article de Xavier Berne, Google | Take Action, WCIT-12| Scoop.it , Le document du Dr Rohan Samarajiva , Réponse de la Quadrature du Net, Wiki de la Quadrature du Net, Communiqué de la Quadrature du Net , flux des twitts #WCIT12, Le programme du WCIT12, MINICOM Tunisie
Et vous ?
Qu'auriez-vous aimé voir - ou ne pas voir - sur le nouveau règlement?
Comment jugez-vous les propositions de certains pays sur le fait de vouloir imposer un contrôle d'Internet sur les territoires nationaux?
Comment concevez-vous un monde où le web fonctionne comme le réseaux téléphonique?
Pensez-vous que la proposition officielle de la France comprendra la demande de taxer les moteurs de recherche comme Google?
Que pensez-vous du projet de régulation internationale d'Internet ?
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Le , par la.lune
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