En fait, l’informatique serait particulièrement sensible aux variations conjoncturelles. En période de ralentissement ou de récession les SSII jouent un rôle d’amortisseur, mais la rançon de ce mode de gestion de l’emploi "très focalisé sur le court terme" serait peu propice à répondre aux besoins en période de reprise.
Pour Pôle Emploi, les donneurs d’ordres, souvent focalisé sur la satisfaction de leurs besoins immédiats, pourvoient de plus en plus leurs propres postes en faisant appel aux personnels des sociétés de service détachés. Ils investiraient donc moins dans une gestion des compétences à moyen et long terme. Or, les données disponibles sur une longue période tendraient à prouver que "ce mode de gestion implique en retour des difficultés à trouver des candidats lorsque ces besoins s’accroissent".
Pôle Emploi ne met pas en doute la progression continue des embauches dans le domaine, mais il relativise également fortement les tensions sur le marché dans son ensemble.
A la conjoncture, l’agence ajoute que l’informatique est un domaine très varié et mal défini. Ce qui n’est pas sans conséquence sur les chiffres.
"Les sept emplois-métiers spécifiques distingués par le Répertoire opérationnel des métiers et emploi (ROME) de Pôle emploi regroupent à eux seuls plus de deux cents appellations", note le rapport. A cela s’ajoute le fait que le périmètre de l’IT et les compétences demandées évoluent en permanence (e-commerce, Cloud Computing, etc.).
Résultat, "des divergences dans les volumes d’emplois invoqués, selon que l’on s’en tient à une prise en compte des seuls spécialistes, ou que l’on adopte une approche plus extensive( télécommunications, Internet, numérisation, multimédia)".
Mais la "pénurie supposée" serait surtout la conséquence de l’importance de la place prise par les SSII et aux conditions de travail dans celles-ci.
"On peut voir dans les difficultés de recrutement que peuvent rencontrer les SSII l’effet des amples fluctuations qui gouvernent la recherche de candidats, d’une gestion de l’emploi happée par le court terme [...] et comme la conséquence d’une faible attractivité des emplois proposés, qui encourage un important turn over, lequel implique à son tour, à plus ou moins brève échéance, la recherche de nouvelles compétences et de profils expérimentés", écrit l’agence.
Une analyse qui va dans le sens de celle de M. Zune (auteur de "De la pénurie à la mobilité: le marché du travail des informaticiens"). Pour lui, c’est dans les SSII que l’on observe les taux d’ancienneté les plus faibles (inférieurs à neuf ans), la moyenne d’âge la plus basse (32-33 ans), des taux de promotion interne les plus bas ainsi que des taux de recrutement et de départ les plus élevés.
Deux chiffres résumeraient tout. En France, 77 % des jeunes diplômés en informatique débuteraient leur vie professionnelle dans une SSII. Mais seul 1 % de l’effectif de ces SSII quitterait l’entreprise pour cause de départ à la retraite (contre 10,4 % en moyenne).
Trop "court-termiste", trop de turn-over, trop de délégation de responsabilité aux SSII, Pôle Emploi ne s'arrête pas là. Il remet également en cause l’optimisme des observateurs du secteur. Notamment les perspectives très positives du précédent exercice de "Prospective des Métiers et des qualifications", conduit par le Centre d’Analyse Stratégique et la Dares.
Ce rapport anticipait une nette croissance du nombre des postes à pourvoir à l’horizon 2015, et surtout des créations nettes d’emplois. Une analyse qui, d’après Pôle Emploi, ne pendrait pas suffisamment en compte le développement de la mondialisation "et le développement d’une informatique off-shore qui s’est fortement implantée dans le sous-continent indien, et qui se déploie aujourd’hui en Chine".
Là encore, les SSII auraient leur part de responsabilité. "Ce développement est largement porté par les grandes SSII – qu’il s’agisse de recours à des sous-traitants, de créations de filiales, de rachats-acquisitions ou de construction de réseaux d’alliance", écrit l’agence qui n’oublie pas pour autant qu’"il est aussi fortement encouragé par les donneurs d’ordres, qui y voient une opportunité pour la compression de leurs coûts".
Ce mouvement off-shore prendrait d’autant plus d’importance qu’il bénéficie du fait que la production à distance de services informatiques n’exige pas de délocalisation formelle, comme c’est le cas dans des secteurs industriels.
Au delà de ces pénuries plus ou moins réelles, c’est surtout le manque de gestion des compétences et de vision stratégique à long terme qui inquiètent Pôle Emploi dans un secteur que pourtant "divers observateurs et acteurs – dont la Commission européenne – regardent comme hautement stratégique" pour le futur.
Un secteur qui, pour l’agence, préparerait bien mal son avenir du point de vue des ressources humaines.
Source : "Les métiers de l’informatique : un domaine professionnel très sensible aux évolutions conjoncturelles" (PDF)
Et vous ?
Etes-vous d’accord avec l’analyse de Pôle Emploi sur les "supposées pénuries de main-d’œuvre" ?
D’après vous le secteur IT français est-il trop "court-termiste" ?