Une nouvelle étude intitulée « Quelle démocratisation des grandes écoles depuis le milieu des années 2000 ? », a été publiée par l'Institut des politiques publiques (IPP) mardi 19 janvier 2021. Entre 2006 et l'année scolaire 2016-2017, quatre chercheurs de l’IPP ont épluché toutes les données disponibles des 234 grandes écoles françaises, compilées par le ministère de l'Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports. L’étude, menée sur une décennie, révèle que le recrutement des élèves au sein de ces établissements (écoles de commerce, d’ingénieurs, instituts d’études politiques, écoles normales supérieures, classes préparatoires…) n’a pas progressé en terme de diversité. Les étudiantes représentent un quart des inscrits. Une proportion qui n’a pas bougé entre 2006 et 2016. En effet ce à quoi ressemblerait le portrait-robot de la majorité des étudiants recrutés dans les grandes écoles françaises est : homme, originaire d'Île-de-France, issu de classes sociales très favorisées.
Près de 6 étudiants sur 10 sont des hommes des grandes écoles
Les femmes représentaient 26 % des promotions des écoles d’ingénieurs en 2016-2017 (21 % dans les écoles les plus prestigieuses), comme dix ans plus tôt. En revanche, les écoles de commerce et les instituts d’études politiques accueillent autant, voire plus de femmes que d’hommes dans leurs promotions. Autrement dit, seuls 42 % des étudiants des grandes écoles sont des filles. Pourtant, ces dernières sont la majorité (55 %) des effectifs dans les formations de niveau bac+3 à bac+5. Elles sont encore moins nombreuses dans les établissements les plus sélectifs, puisque leur part tombe à seulement 37 %. « Cette sous-représentation féminine n'est pas cependant uniforme : elle est particulièrement marquée dans les écoles d'ingénieurs (26 % de filles) alors que les écoles de commerce présentent, en moyenne, des proportions comparables de filles et de garçons », nuance l'étude.
Les filles seraient-elles moins brillantes ? « A fortiori, les performances scolaires ne contribuent aucunement à expliquer la sous-représentation des filles dans les grandes écoles », tranche le rapport. Au regard de leurs performances scolaires dans le secondaire, les étudiantes auraient pourtant dû être plus nombreuses à intégrer ces écoles. « Notre étude montre que si les filles sont moins présentes en école d’ingénieurs et en prépa, cela ne s’explique pas par leur niveau scolaire, souligne Cécile Bonneau, doctorante en économie à l’École normale supérieure et à l’École d’économie de Paris, coautrice de l’étude. Les filles se détournent de ces filières après le bac, par choix ou par autocensure ».
10 % d’élèves issus de milieux défavorisés, contre 64 % d’élèves très favorisés
La France comptait, en 2016-2017, 234 grandes écoles, définies par le ministère de l’Enseignement supérieur comme « des établissements d’enseignement supérieur qui recrutent leurs élèves par concours et assurent des formations de haut niveau ». Or, ces écoles se caractérisent également par étroitesse de leur recrutement. Un phénomène observé à travers différents indicateurs tels que l’origine sociale et l’origine géographique.
L’étude relève que la part d’étudiants issus des milieux les plus défavorisés (ouvriers et personnes sans activité professionnelle) ne dépasse jamais les 10 % dans ces établissements, alors que les étudiants issus de catégories socioprofessionnelles très favorisées (cadres et assimilés, chefs d’entreprise, professions intellectuelles et professions libérales) représentent, eux, 64 % des effectifs. « Plus les écoles sont sélectives, plus elles ont une composition sociale favorisée, plus il y a de Parisiens, de Franciliens », analyse Julien Grenet. Il évoque ainsi un effet mécanique qui veut que les élèves socialement favorisés ont de meilleurs résultats scolaires et donc plus de chances de réussite aux concours. Toutefois, nuance-t-il, ces inégalités de réussite scolaire n’expliquent pas la totalité des inégalités, « au mieux elles en expliquent la moitié ».
Selon Grenet « le fait qu’il y ait une très forte concentration de ces classes préparatoires et de ces grandes écoles à Paris et en Île-de-France crée un obstacle pour les élèves qui ne viennent pas de cette région ». En effet, au-delà des performances scolaires au lycée, des obstacles géographiques se dressent inévitablement sur le chemin des futurs étudiants, impliquant un facteur financier non négligeable (notamment lié au coût de la mobilité, mais aussi aux frais d’inscription dans certaines écoles pour lesquelles même les boursiers ne peuvent obtenir une exonération totale), menant à des phénomènes d’autocensure.
Des inégalités géographiques
Julien Grenet évoque le problème du recrutement en fonction des lycées. En effet, le rapport souligne que la moitié des élèves des plus grandes écoles (les 10 % plus sélectives) viennent de seulement 8 % des lycées français, qui sont souvent des lycées parisiens, ou franciliens. « Dans les lycées, parfois, aucun des élèves ne va jamais en prépa ou dans une grande école. Ils peuvent donc se priver de cette possibilité alors qu’ils en ont les moyens d’un point de vue scolaire. Cela crée un effet pervers, car cette forte concentration géographique va entretenir la fermeture des grandes écoles à la diversité en raison d’un non-accès à cette information par rapport aux élèves qui sont très favorisés », explique Grenet.
« L’ambition scolaire va dépendre de l’influence des camarades de classe, de l’histoire de sa propre famille… Et les grandes écoles apparaissent largement comme un monde d’initiés », développe Julien Grenet, qui pointe un manque d’accessibilité des informations fournies aux élèves de certains lycées concernant l’accès à ces grandes écoles. Ces mécanismes d’autocensure, le contexte scolaire et familial jouent considérablement sur les choix d’orientation.
L’étude a été réalisée dans le cadre d’un appel à projet de recherche conjoint entre le ministère de l’Éducation nationale et le ministère de l’Enseignement supérieur. Commandée en 2015 par le gouvernement Valls, l'étude avait pour objectif « de déterminer si les initiatives mises en place depuis une quinzaine d'années pour élargir la base de recrutement des grandes écoles ont effectivement permis de diversifier le profil de leurs étudiants, sur la base d'éléments empiriques solides ».
Source : Institut des Politiques Publiques
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Le , par Nancy Rey
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