La collecte de cet impôt, qui vise des groupes comme Amazon et Facebook, avait été suspendue pour permettre que la négociation conduite par l'Organisation pour la coopération et du développement économiques (OCDE) aboutisse à une solution internationale. L'OCDE travaille sur un plan visant à contraindre les entreprises du numérique à s'acquitter de leurs impôts dans les pays où ces dernières génèrent leurs profits plutôt que dans des entités fiscalement plus favorables où elles font enregistrer leurs filiales.
Le Premier ministre français Jean Castex et le ministre de l'Économie et des Finances Bruno Le Maire
La France avait cependant prévenu que si le blocage des discussions menées par l'OCDE persistait, elle appliquerait sa propre taxe. En octobre dernier, les 140 pays impliqués dans les négociations sur le sujet ont décidé de prolonger jusqu'à la mi-2021 les discussions. « Les entreprises assujetties à cette taxe (taxe numérique) ont reçu un avis d'imposition pour le versement des acomptes de 2020 », a déclaré un responsable du ministère des Finances.
En effet, le Parlement français a adopté en 2019 une taxe de 3 % sur le chiffre d'affaires des entreprises dégageant des revenus supérieurs à 25 millions d'euros dans le territoire national et 750 millions d'euros dans le monde. La France espérait alors à l'époque que cet impôt rapporterait environ 500 millions d'euros cette année, mais le projet de finances 2021 l'évalue désormais à 400 millions.
La position de Facebook est « de se conformer à toutes les lois fiscales dans les juridictions où nous opérons », indique le réseau social dans sa politique générale ; ajoutant qu'elle avait reçu sa facture fiscale des autorités françaises. Amazon, pour sa part, indique avoir reçu un rappel des autorités françaises pour payer la taxe, et s'y conformera, selon une personne connaissant bien le sujet chez le détaillant en ligne. D'autres groupes technologiques ont fait des déclarations similaires.
La France a indiqué qu'elle mettrait fin à cette taxe dès qu'un accord au sein de l'OCDE serait conclu. « Nous prélèverons cette taxe numérique à la mi-décembre, comme nous l'avons toujours expliqué à l'administration américaine. Notre objectif reste de parvenir à un accord de l'OCDE d'ici les premiers mois de 2021, car nous restons profondément convaincus que la meilleure façon de traiter cette question importante de la fiscalité numérique est d'obtenir un accord multilatéral dans le cadre de l'OCDE », a déclaré lundi le ministre des Finances, Bruno Le Maire.
Bruno Le Maire a souhaité que la future administration américaine soutienne rapidement le principe d'une réorganisation de la fiscalité internationale des entreprises numériques, alors que Donald Trump s'est montré réticent à un accord multilatéral sur le sujet, dans un contexte de pandémie de coronavirus. Effectivement, Trump avait averti que des droits punitifs de 25 % sur les produits français d'une valeur de 1,3 milliard de dollars US, y compris les célèbres cosmétiques et sacs à main du pays seront imputés. Dan Neidle, un associé du cabinet d'avocats Clifford Chance, est sceptique quant à l'acceptation d'un tel accord par le président américain élu Joe Biden. « Je ne sais pas pourquoi Biden accepterait un accord qui permet aux entreprises américaines de payer plus d'impôts en Europe et qui ne présente pas beaucoup d'avantages pour les États-Unis », a déclaré Neidle.
La décision française risque d'intensifier une lutte de longue haleine sur la manière de faire payer aux multinationales technologiques américaines une part plus importante de leurs taxes dans les pays où elles opèrent. Parallèlement, un groupe de députés français de la Commission des finances, porté par Guillaume Peltier, a proposé mercredi 18 novembre de créer un « prélèvement sur les bénéfices supplémentaires des GAFAM pour soutenir nos commerces de proximité et nos librairies ».
La proposition de loi portée par Guillaume Peltier part du principe que « si aucune leçon n’a été tirée au sommet de l’État depuis la "première vague de contamination", nos commerces de proximité, nos libraires, nos coiffeurs, nos restaurateurs sont menacés d’une disparition pure et simple, et sans espoir de retour ». Face à la croissance fulgurante de géants du numérique comme Amazon qui déclare avoir triplé ses bénéfices nets au troisième trimestre soit 6,2 milliards de dollars, le député propose de créer une taxe exceptionnelle sur les GAFAM.
La proposition de loi du député Peltier est bien plus tranchante. Elle vise en effet à imposer « un nouveau prélèvement de 50 % sur les bénéfices exceptionnels des GAFAM depuis le premier confinement de cette année, c’est-à-dire directement dus à la crise sanitaire de la Covid-19 ». L’objectif étant de transférer intégralement les montants prélevés vers un fonds dédié à des « dispositifs d’aides financières au profit des personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité commerciale ou artisanale ».
Thierry Ben Samoun, avocat fiscaliste à Marseille, reste sceptique. Il explique : « Toute proposition de loi qui cherche à imposer les bénéfices des GAFAM n’a pas de sens. Nous avons accès à un bilan de ceux-ci pour leur activité mondiale, leur siège étant aux États-Unis, mais pas pour leur activité en France ». En effet, selon lui, il est impossible de quantifier les bénéfices des géants du numérique en France. « Il est strictement impossible d’imposer les GAFAM sur leurs bénéfices, car ils n’ont pas d’établissement stable en France. Nous n’avons aucun élément déclaratif sur leurs bénéfices en France », précise Samoun.
Les entreprises visées dans ce dispositif juridique risquent une double imposition. Sur ce point, le bureau du député Peltier, précise : « La société Amazon (principalement visée par ce projet de loi) a des activités majoritairement hors numériques, alors même que l’optimisation fiscale des GAFAM concerne l’ensemble des activités, numériques ou hors numériques ». Par ailleurs, continue-t-il, « le bénéfice visé dans cette proposition de loi est celui qui est issu des produits commandés par voie électronique, en France ».
L'autre difficulté de la proposition de loi en question tient dans le ciblage des entreprises visées : la taxe portée par Bruno Le Maire touche ainsi une multinationale française comme Criteo. Le texte de Guillaume Peltier établit une taxe exceptionnelle annuelle pour 2020 et 2021 sur toutes les « ventes de biens commandés par voie électronique » réalisées par les « opérateurs qui ont un chiffre d’affaires annuel supérieur à 750 millions d’euros à l’échelle mondiale et de 25 millions d’euros à l’échelle du territoire français lors du dernier exercice clos ».
Plusieurs entreprises françaises risqueraient ainsi d'être taxées à deux reprises, car il est impossible de cibler une société en particulier dans une loi, outre que le texte ne prévoit pas de système d'imputation.
Sources : Proposition de loi, Projet de loi, Reuters
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