La problématique ici est somme toute très complexe et il est rapidement apparu que sa résolution nécessiterait des modifications importantes du régime fiscal actuel. Outre les difficultés techniques, le fait que différentes parties prenantes clés (notamment les États-Unis et les États membres de l'UE) avaient des points de vue divergents sur la meilleure solution rendait encore plus difficile la recherche d'un consensus.
C’est ainsi qu’en 2018, la Commission européenne a proposé un prélèvement numérique de 3 %, arguant que le système fiscal devait être mis à jour pour l'ère numérique. À l'époque, la Commission européenne avait noté que les entreprises numériques payaient en moyenne un taux d'imposition effectif de 9,5 % - contre 23,2 % pour les entreprises traditionnelles.
Cependant, non seulement, la Maison-Blanche a déclaré qu'une taxe numérique était injuste, car elle touchait de manière disproportionnée les entreprises américaines, mais aussi certains pays européens se sont opposés à ce projet de taxation, arguant qu’il pourrait avoir un impact négatif et nuire à l'économie européenne. « Une taxe sur les services numériques s’écarterait des principes fondamentaux de l’impôt en ne s’appliquant qu’au chiffre d’affaires, sans prendre en compte le fait de savoir si le contribuable réalise un bénéfice ou non », avaient-ils déclaré à l’époque.
Cela n’a pas empêché la France de mettre sur pieds l'année dernière une taxe de 3 % qui s'applique aux entreprises, indépendamment de leur lieu d'établissement, pour lesquelles le montant des sommes encaissées en contrepartie des services taxables lors de l'année civile excède les deux seuils suivants :
- 750 millions d'euros au titre des services fournis au niveau mondial ;
- 25 millions d'euros au titre des services fournis en France, au sens de l'article 299 bis.
Une situation exacerbée par la pandémie actuelle et les statistiques mirobolantes des entreprises technologiques
Le contexte de la crise du coronavirus est venu accentuer l’urgence de la situation. En effet, tandis que les mesures de restrictions prises par les gouvernements pour réduire la vitesse de propagation du virus avaient réduit au strict minimum ou fermé les activités de la plupart des entreprises à l’échelle mondiale, les grandes entreprises technologiques ont connu une croissance, battant même parfois des records d’audience.
Alors que les activités reprennent progressivement suite à des mesures de déconfinement, l’Europe voudrait que les grandes entreprises technologiques paient un « montant équitable » de taxes dans son espace économique, d'autant plus qu'ils sont les « vrais gagnants » de la crise du coronavirus, selon un haut responsable européen.
« C'est un problème majeur », a déclaré Paolo Gentiloni, commissaire européen chargé de l'économie et de la fiscalité. L'ancien Premier ministre italien a ajouté qu'il n'était plus possible « d'accepter l'idée que ces géants, vainqueurs de la crise, ne paient pas un montant d'impôts équitable en Europe ».
Les États-Unis ne veulent pas d’un accord à l’OCDE, selon Bruno Le Maire
La France a accusé mercredi les États-Unis de chercher à saper les négociations internationales visant à mettre à jour la fiscalité transfrontalière à l'ère numérique et a exhorté l'Europe à préparer une taxe européenne si les négociations échouent.
Près de 140 pays négocient la première réécriture majeure des règles fiscales internationales pour tenir compte de la montée en puissance des grandes entreprises numériques comme Google, Facebook et Amazon. Avec un projet d'accord attendu par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) le mois prochain, l'objectif de parvenir à un accord avant la date limite de fin d'année semble de plus en plus difficile.
Washington a appelé à une pause dans les pourparlers plus tôt cette année après avoir suggéré que tout accord devrait inclure un mécanisme d'acceptation volontaire pour les entreprises américaines et soulevé des scrupules quant à la portée de la taxe.
« C’est très clair, les États-Unis ne veulent pas d’une taxe numérique (accord) à l’OCDE. Ils créent donc des obstacles qui nous empêchent de parvenir à un accord même si le travail technique est terminé », a déclaré le ministre français des Finances, Bruno Le Maire, aux journalistes.
La montée en puissance des grandes entreprises de services numériques a agacé les ministres des Finances européens, car ces entreprises sont souvent en mesure de générer des revenus importants dans leur pays tout en enregistrant les bénéfices dans des pays à faible fiscalité comme l'Irlande.
En l'absence d'accord mondial, certains pays européens ont suivi la France en créant leur propre taxe nationale sur les services numériques, ce qui en a fait des cibles des menaces américaines de tarifs de rétorsion. L'Italie par exemple a emboîté le pas à la France dans l'instauration d'une imposition sur le numérique traduite par une taxe de 3 % intéressant les entreprises qui réalisent, vis-à-vis de leurs activités numériques, un chiffre d’affaires d’au moins 835 millions dollars (environ 750 millions d’euros) dans le monde et de plus de 6,1 millions de dollars (environ 5,5 millions d’euros en Italie). Le voisin méditerranéen de la France s’attend à ce que cette taxe lui rapporte 700 millions d’euros chaque année. Du côté du Royaume-Uni, la taxe vise les entreprises du numérique réalisant un chiffre d’affaires annuel d’au moins 500 millions de livres (près de 590 millions d’euros) dans le monde. Elle consiste en un prélèvement de 2 % sur les revenus tirés de leur activité auprès des consommateurs britanniques à partir d’avril 2020.
Inébranlable, Le Maire a renouvelé un appel aux pays de l’UE pour qu’ils adoptent une taxe à l’échelle du bloc en l’absence d’accord international. « Si le blocage américain est confirmé d'ici la fin de l'année, nous comptons sur l'Union européenne pour faire une proposition formelle de taxation des activités numériques au premier trimestre 2021 », a-t-il déclaré.
Il a ajouté qu'il était pleinement convaincu que le ministre irlandais des Finances, Paschal Donohue, tiendrait sa promesse de soutenir une telle taxe, même si Dublin a annulé les tentatives précédentes au niveau de l'UE.
Source : Reuters
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