Fin janvier, 137 pays s’étaient entendus pour aboutir d’ici à la fin 2020 à un accord sur la taxation des multinationales de la technologie, sous l’égide de l’OCDE. Mais Washington a déclaré mercredi qu'il se retirait des négociations avec les pays européens sur les nouvelles règles fiscales internationales concernant les entreprises numériques, affirmant que les pourparlers n'avaient pas progressé. Ce retrait a suscité de nombreuses réactions de la part des dirigeants européens. Pour Paris, cette décision de quitter les discussions mondiales sur la façon de taxer les grandes entreprises numériques telles que Google, Amazon et Facebook était une « provocation » et l'UE a déclaré qu'elle pouvait imposer des taxes même si aucun accord n'était conclu d'ici la fin de l'année, a rapporté Reuters.
Mercredi, l’administration Trump avait en effet fait savoir que les États-Unis avaient décidé de « faire une pause dans les pourparlers de l’OCDE sur la fiscalité internationale au moment où les gouvernements du monde entier se concentrent sur la réponse à la pandémie de covid-19 et sur la réouverture en toute sécurité de leurs économies », selon un communiqué de Monica Crowley, chargée des affaires publiques. Les négociations visent à parvenir à un accord d'ici la fin de 2020, mais cette échéance est désormais hors de portée avec la dernière initiative de Washington et l'élection présidentielle américaine de novembre, selon Reuters.
L’Union européenne, la France et d’autres pays européens ont condamné sans ménagement, jeudi 18 juin, la pause annoncée par Washington dans les négociations internationales sur la taxation des géants du numérique, menées sous l’égide de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
« Je confirme que nous avons reçu, avec mes homologues italien, espagnol et britannique, une lettre du secrétaire au Trésor Steven Mnuchin qui nous confirme qu'ils ne veulent pas poursuivre les négociations à l'OCDE sur la taxation numérique », a-t-il affirmé sur France Inter. « Cette lettre est une provocation », a-t-il déploré, assurant que la France, le Royaume-Uni, l'Italie et l'Espagne avaient d'ores et déjà répondu aux États-Unis pour confirmer dans une lettre leur volonté d'obtenir « une juste taxation du numérique à l'OCDE le plus vite possible ».
« Qu'est-ce que c'est que cette manière de traiter les alliés des États-Unis (...) en nous menaçant systématiquement de sanction », a-t-il dénoncé, assurant que son pays ne renoncerait pas à la taxe, qu'il a commencé à percevoir dès 2019. Une porte-parole du gouvernement espagnol a déclaré que Madrid et d'autres pays européens n'accepteraient « aucune menace d'un autre pays » concernant le litige sur la taxe numérique.
Jeudi après-midi, l’OCDE, elle-même, a regretté la décision américaine, appelant à poursuivre les négociations. « Une guerre commerciale, en particulier en ce moment où l’économie mondiale traverse une crise historique, porterait plus encore préjudice à l’économie, à l’emploi et à la confiance », a alerté le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurria, dans une déclaration écrite. « Tous les pays [participant à ces discussions] devraient rester à la table des négociations visant à parvenir à une solution internationale d’ici à la fin de l’année », a-t-il ajouté.
Une taxe numérique européenne envisagée si l’administration Trump ne retourne pas à la table de négociations
Selon les pays européens, les entreprises technologiques paient trop peu d'impôts dans les pays où elles font des affaires, car elles peuvent transférer leurs bénéfices dans le monde entier avec peu d'infrastructures physiques. Washington a résisté à toute nouvelle taxe unilatérale sur les entreprises de la Silicon Valley en l'absence d'un accord de l'OCDE.
En octobre dernier, l’OCDE a rendu publiques ses propositions sur une taxe GAFA transfrontalière, ce qui représente une étape politique décisive en vue de la résolution de ce problème. L’OCDE veut parvenir à un accord sur les aspects techniques de la taxation des grandes entreprises numériques d’ici juillet et mettre en place un accord complet d’ici fin 2020, idéalement avant le sommet du G20, afin d’éviter une escalade des tensions commerciales sur cette question. D’après l’organisation, la mise en place de ce nouveau dispositif fiscal permettrait d’augmenter les recettes fiscales nationales totales de 100 milliards de dollars par an.
Mais les efforts de l’organisation se sont heurtés à l’hostilité et aux « manœuvres protectionnistes » des États-Unis (le pays où se trouvent la plupart des grandes entreprises de la technologie) qui exigent notamment l’adoption d’une proposition relative au concept de « sphère de sécurité », un concept qui d’après ses détracteurs permettrait aux multinationales de choisir entre se conformer au nouvel ensemble de lois voulu par l’UE ou de s’en tenir aux réglementations existantes.
Bruno Le Maire, le ministre français des Finances, a confié en février que le mini G20 qui s’est tenu à Riyad a été très utile pour établir un consensus sur ces règles fiscales mondiales. Selon lui, « pour la première fois, il existe un large consensus parmi les membres du G20 sur la nécessité d’avoir un nouveau système de taxation internationale » qui permettrait d’éviter « la prolifération de systèmes fiscaux différents ».
Plus tôt dans la journée de jeudi, c’était le commissaire européen aux affaires économiques, Paolo Gentiloni, qui déclarait espérer que la décision américaine ne serait « pas un arrêt définitif ». « La Commission européenne veut une solution globale pour faire entrer la fiscalité des entreprises dans le XXIe siècle », a déclaré M. Gentiloni. « Mais si cela s'avère impossible cette année, nous avons clairement indiqué que nous présenterons une nouvelle proposition au niveau de l'UE », a-t-il ajouté, précisant que des taxes pourraient être introduites même en l'absence d'un accord mondial.
« Nous étions à quelques centimètres d’un accord sur la taxation des géants du numérique, qui sont peut-être les seuls au monde à avoir tiré d’immenses bénéfices du coronavirus », a souligné M. Le Maire. « Nous appliquerons quoiqu’il arrive une taxation aux géants du digital en 2020, parce que c’est une question de justice », a-t-il assuré, rappelant que la taxe française « n’avait jamais été retirée, mais simplement suspendue pour quelques mois ».
Certains États européens toujours engagés pour une solution globale de taxation des géants de la technologie
La France, l'un des pays européens qui ont adopté de nouvelles taxes pour collecter davantage de revenus auprès des entreprises numériques, avait accepté de suspendre la perception de sa taxe pendant que des discussions étaient en cours sur une approche globale. Le ministre le Maire a déclaré que la France imposerait sa taxe sur les services numériques cette année, que Washington reprenne ou non les négociations. « Personne ne peut accepter que les géants du numérique puissent faire des profits avec leurs 450 millions de clients européens et ne pas payer d'impôts là où ils se trouvent », a-t-il déclaré.
La taxe française applique un prélèvement de 3 % sur les revenus des services numériques perçus en France par les entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse 25 millions d'euros (28 millions de dollars) en France et 750 millions d'euros dans le monde. La France s’est engagée dans une initiative nationale en début 2019 lorsque les tentatives de l’UE s’enlisaient à cause de l’opposition à la réforme de certains États membres. Mais une taxe numérique nationale, sans accord mondial, ne tente plus certains États européens.
Le ministre italien de l'Economie Roberto Gualtieri a déclaré jeudi que son pays était toujours engagé dans un accord mondial commun sur une taxe sur les services numériques, après que les États-Unis aient décidé de quitter les négociations mondiales sur la manière de taxer les géants du secteur, a rapporté Reuters. « Malgré l'urgence de covid-19, nous sommes déterminés à trouver une solution d'ici 2020 en travaillant avec la France, l'Espagne et le Royaume-Uni, comme l'a décidé le G20 », a écrit M. Gualtieri sur Twitter.
La Grande-Bretagne va également continuer à faire pression pour une solution globale sur la taxation des entreprises numériques internationales après la décision des États-Unis de prendre une pause dans les négociations, a déclaré jeudi un porte-parole du Trésor britannique. « Nous restons attachés à une solution globale », a déclaré le porte-parole, d’après Reuters.
La taxe dite GAFA de la France lui a valu des menaces de la part de Washington d'imposer des droits de douane sur le champagne français, les sacs à main et d'autres marchandises. Après l'apaisement des tensions avec la France en début de l’année, l'administration Trump a menacé de représailles la Grande-Bretagne. Steven Mnuchin a averti que les exportateurs britanniques pourraient s'attendre à un traitement similaire si Johnson persiste avec la taxe sur les services numériques, qui, selon Washington, pénalise injustement des entreprises comme Google, Amazon et Facebook.
La taxe britannique devrait entrer en vigueur en avril, à raison de 2 % des revenus des moteurs de recherche, des plateformes de médias sociaux et des marchés en ligne qui tirent de la valeur des utilisateurs britanniques. Les États-Unis ont ouvert ce mois-ci des enquêtes commerciales sur les taxes numériques en Grande-Bretagne, en Italie, en Espagne et dans d'autres pays, car ils craignent qu'elles ne ciblent injustement les entreprises américaines.
Mais ces solutions nationales pourraient être adoptées, selon Reuters, car les efforts déployés pour parvenir à un accord commercial États-Unis-UE, même limité, ont échoué et les sources des deux parties estiment qu'il y a peu de chances de progrès à l'approche d'une élection présidentielle américaine dans quatre mois à peine. Quant à une solution au niveau de l’UE, les tentatives précédentes nous ont appris qu’il est également difficile de parvenir à un accord entre pays membres.
Sources : Reuters (1, 2 & 3), France Inter
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Que la France qualifie de « provocation »
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Le , par Stan Adkens
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