Au nom de l’état d’urgence, le gouvernement français a accéléré la mise en place du Health Data Hub, une plateforme devant centraliser des données de santé. Nous pouvons citer des mesures comme l’arrêté du 21 avril qui autorise le Health Data Hub, ainsi que la Caisse nationale de l’assurance-maladie (Cnam), à collecter, « aux seules fins de faciliter l’utilisation des données de santé pour les besoins de la gestion de l’urgence sanitaire et de l’amélioration des connaissances sur le virus Covid-19 », un nombre considérable de données.
L’avis de la CNIL sur le projet a été demandé et la Commission n’a pas caché ses inquiétudes face à un possible transfert des données aux États-Unis notamment parce que le gouvernement français s’appuie sur l’américain Microsoft pour stocker l’ensemble des données de santé.
La Sénatrice Catherine Morin Dessailly a demandé à Cédric O, secrétaire d’État en charge du numérique, ce qui a motivé l’attribution du marché à Microsoft. Le secrétaire d’État a déclaré :
« La réponse elle est simple : nous avions le choix entre prendre une solution française, et l’évaluation technique était très claire, qui ne nous permettait pas, et je le regrette, de faire les recherches scientifiques que nous souhaitions faire sur les données de santé. Et quand je parle de recherches scientifiques, il s’agit de ce que nous avons fait pendant la crise du COVID-19 notamment les recherches de comorbidité, les recherches d’interactions médicamenteuses.
« Avec les solutions françaises, étant donné le retard européen dans le cloud, que je regrette profondément, nous n’avions pas la possibilité de faire tourner les algorithmes d’intelligence artificielle aussi développés sur l’infrastructure française que sur l’infrastructure américaine.
« Dès lors il y avait un choix cornélien qui était de savoir si on mettait en avant d’abord l’efficacité sanitaire avec un certain nombre de garanties ou la question de la souveraineté avec une moindre efficacité sanitaire. Nous avons réfléchi longtemps sur cette question. Après avoir discuté avec un certain nombre de scientifiques, de chercheurs en intelligence artificielle pour comprendre jusqu’au bout ce qu’on pouvait faire et ce qu’on ne pouvait pas faire, nous avons choisi Microsoft qui était la mieux placée en termes de technologie, avec un certain nombre de garanties techniques et juridiques ».
À cette déclaration, Morin Dessailly a réagi en disant : « ne me faites pas croire qu’il n’y avait pas de solution française, européenne, internationale. OVH aurait très bien pu candidater si le cahier des charges avait été aussi fait en fonction des acteurs européens dont nous disposons. Parce que dans ce domaine, tout est en train d’être construit et Microsoft fait de même ».
La réaction des acteurs français
Octave Klaba, président du fournisseur de cloud français OVH, n’a pas manqué d’afficher son regret de voir cette attribution à Microsoft, effectuée sans « procédure d'appel d'offres en bonne et due forme ». Il avait exprimé son mécontentement notamment sur Twitter : « C’est la peur de faire confiance aux acteurs français de l’écosystème qui motivent ce type de décisions. La solution existe toujours. Le lobbying de la religion ‘Microsoft’ arrive à faire croire le contraire. C’est un combat. On va continuer et un jour on gagnera. Ensemble. »
Il avait d’ailleurs annoncé qu’il allait avoir un entretien téléphonique le 1er juin à 16 heures avec Stéphanie Comb, directrice du Health Data Hub, pour voir si ou quand la plateforme pourrait tourner sur un cloud français au lieu de Microsoft, précisant qu’il avait « une envie débordante de montrer que l’écosystème français est à la hauteur de ce type de mission ».
À l’issue de cet appel, il a fait quelques remarques, notamment :
- Le projet a vu le jour fin 2018, sur la base d’une description de besoin fonctionnelle du service, d’assez haut niveau. Le document est public
- Il n’y a pas eu et il n’y a toujours pas d’autres documents sur le projet. Par exemple, le cahier des charges avec la liste ou la description de services IaaS PaaS et SaaS nécessaires pour réaliser le projet.
- La liste de services utilisés est documentée en interne, mais n’est pas rendue publique.
- Sur la base de ce document interne, les équipes internes analysent les insuffisances entre les services utilisés et la liste de services disponibles, notamment chez OVHcloud.
- Pourtant, Klaba note « qu’en 2018, avant le démarrage du projet, les insuffisances se résumaient au ‘manque de IaaS HDS avec du GPU’. On avait Hosted Private Cloud HDS, on avait Baremetal GPU, mais on n’avait pas IaaS HDS avec GPU. En mai 2019, Baremetal a été certifié HDS et on n’avait plus d’insuffisances »
« Le développement du projet a démarré en mai 2019 et donc théoriquement il n’y avait plus de souci. Mais on accepte le constat qu’en novembre 2018 on n’avait pas d’offre HDS avec du GPU et donc que le projet est parti sans nous. C’est la vie. Fin 2019, après plusieurs mois de dev, une nouvelle analyse de gap a été faite. Cette fois-ci, il s’agit d’une liste de 18 services qu’on n’aurait pas. Je vais vous donner les détails de cette liste dans les prochains jours et confirmer, qu’on les a ou pas.
« J’ai regretté le manque de transparence sur les besoins et l’absence du cahier de charge avec toute la liste de service tech qui sont nécessaires au projet. Il n’y a pas qu’OVHcloud sur le marché! J’ai eu un engagement que cette liste sera publiée prochainement et disponible pour tous. »
Pour Arnaud de Bermingham, Président fondateur de Scaleway, la filiale spécialisée dans les infrastructures cloud (IaaS) du groupe Iliad, la réponse est dans le multicloud : « pour moi, le cloud du futur c’est un écosys composé de centaines d’hyperspecialistes. Nos clients font des choses incroyablement pointues. La vision monolithe oligarchique et monopolistique, et horriblement chère ne va durer qu’un temps. La réponse c’est l’ouverture, le multicloud ».
Un recours déposé auprès du Conseil d’État
Une quinzaine d'organisations et de personnalités ont déposé un référé-liberté devant le Conseil d’État contre le déploiement de la base de données de Health Data Hub. Ce référé-liberté doit être examiné le jeudi 11 juin. Il s’agit entre autres du collectif InterHop, composé de professionnels du secteur de la santé et de l’informatique médicale, mobilisé depuis près d’un an contre le projet, mais également par le médecin Didier Sicard, ancien président du Comité national consultatif d’éthique, le professeur Bernard Fallery, spécialiste des systèmes d’information, le Syndicat national des journalistes (SNJ), le Syndicat de la médecine générale (SMG), l’Union française pour une médecine libre (UFML), la représentante des usagers du conseil de surveillance de l’APHP, l’Observatoire de la transparence dans les politiques de médicaments, l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens CGT (UGICT-CGT) et l’Union fédérale médecins, ingénieurs, cadres, techniciens CGT Santé et Action sociale (UFMICT-CGT Santé et Action sociale).
Selon eux, cette mise en place « porte une atteinte grave et sûrement irréversible aux droits de 67 millions d’habitants de disposer de la protection de leur vie privée notamment celle de leurs données parmi les plus intimes, protégées de façon absolue par le secret médical : leurs données de santé ».
Le motif : le Health Data Hub, avec ses données, est « hébergé sur le cloud de Microsoft ». Microsoft étant une entreprise américaine, « il n'y a pas de garantie que ces données ne seront pas exportées aux États-Unis », selon les auteurs du recours, s’alignant ainsi sur l’avis rendu par la CNIL.
Cette action fait suite à un courrier envoyé par les requérants en mars 2020 au ministère des Solidarités et de la Santé. Ils demandaient alors que soit ouverte une enquête pour « favoritisme » sur le choix fait par le gouvernement de confier l'hébergement du Health Data Hub au service de cloud computing Azure de Microsoft.
La procédure de référé-liberté permet de demander à la plus haute juridiction administrative de prendre en urgence une mesure nécessaire à la sauvegarde d'une ou de plusieurs libertés fondamentales si l'administration y porte atteinte de manière grave et illégale.
Sources : Octave Klaba, Arnaud de Bermingham, Morin Desailly, MediaPart