Comme nous l'avons rapporté, les gouvernements des États membres de l'Union européenne ont récemment adopté leur position sur la réforme du droit d'auteur, mais sans apporter de changements significatifs au filtrage automatique des téléchargements (uploads) et aux dispositions visant à taxer les liens.
Les informations sur cette directive européenne sur le copyright - un projet de réforme des droits d’auteur dans le cadre du marché numérique unique - ont été divulguées début 2017 par Julia Reda, eurodéputée membre du Parti Pirate (PP). Il s'agit d'un parti politique engagé dans la protection des droits et libertés fondamentales, aussi bien dans le domaine numérique qu'en dehors.
Deux articles dans le texte initial proposé par la Commission européenne avaient particulièrement provoqué pas mal de remous. Le premier, l’article 11, traitait du droit de reproduction des publications de presse et de les rendre accessibles au public. Le second, l’article 13, préconisait d’obliger les services d’hébergement d’œuvres à surveiller les téléversements (uploads) de leurs utilisateurs, en mettant par exemple en place des technologies de filtrage des contenus.
En juillet, le Parlement européen a rejeté la réforme européenne du droit d’auteur qui visait à l’adapter à l’ère numérique. Cette directive était défendue par les créateurs, les artistes et les éditeurs de presse. Cette réforme devait notamment créer un « droit voisin » qui aurait permis aux journaux, aux magazines et aux agences de presse, comme l’Agence France-Presse, d’être rémunérés lorsque leurs articles sont republiés en ligne. La réforme du droit d’auteur sera de nouveau débattue au Parlement européen lors de la session plénière de septembre.
Dans une tribune publiée dans Le Monde, Le Parisien et Les Échos, Sammy Ketz, le directeur du bureau de l’AFP à Bagdad, prend fait et cause pour l’instauration d’un droit voisin au profit de la presse, et surtout des éditeurs. 78 journalistes ont signé le document, dont des membres du Monde ou du Figaro.
« Nous appelons les députés européens à rejeter toute tentative de suppression de l’article 11 de la proposition de la Commission européenne pour une directive sur le droit d’auteur. L’article 11 est une question de survie pour la presse indépendante en Europe. Cela donnerait aux éditeurs de presse la propriété de leur travail en ligne, à une époque où les plateformes du net exploitent ces efforts gratuitement, en le monétisant pour générer des revenus publicitaires au bénéfice de la Silicon Valley.
« Sans le droit que l’article 11 consacrerait, les journalistes européens continueraient à travailler en réalité gratuitement pour les géants de la technologie : sans visibilité, sans reconnaissance et sans gratification. À l’ère des fausses nouvelles et des attaques contre les valeurs et les institutions démocratiques, l’Europe ne peut pas se permettre d’appauvrir ses salles de rédaction et de museler sa presse indépendante. Législateurs européens : poursuivez votre réforme du droit d’auteur et conservez l’article 11 ! »
Des plateformes qui se servent sans payer
« Soyons concrets, en plus de quarante ans de carrière, j’ai vu le nombre de journalistes sur le terrain diminuer de manière constante alors que les dangers n’ont cessé de croître. Nous sommes devenus des cibles et les reportages coûtent de plus en plus cher. Fini l’époque où j’allais à la guerre, en veste, ou en bras de chemise, un carnet dans ma poche, aux côtés du photographe ou du vidéaste. Aujourd’hui, il faut des gilets pare-balles, des casques, des voitures blindées, parfois des gardes du corps pour éviter d’être enlevés, des assurances. Qui paie de telles dépenses ? Les médias, et cela est onéreux.
« Or, les médias qui produisent les contenus et qui envoient leurs journalistes risquer leur vie pour assurer une information fiable, pluraliste et complète, pour un coût de plus en plus élevé, ne sont pas ceux qui en tirent les bénéfices. Ce sont des plates-formes qui se servent sans payer. C’est comme si vous travailliez mais qu’une tierce personne récoltait sans vergogne et à l’œil le fruit de votre travail. Si du point de vue moral c’est injustifiable, du point de vue de la démocratie ça l’est encore plus.
Des médias qui estiment avoir subi pendant trop longtemps
« Combien d’amis ont cessé de « raconter » car leur média fermait ou ne pouvait plus payer. Jusqu’à ce qu’ils rangent leur stylo, posent leur appareil photo ou leur caméra, ils avaient partagé avec moi des peurs effroyables, terrés derrière un mur qui tremblait autant que nous sous l’impact des explosions, des joies indescriptibles quand nous arrivions au but, que nous allions raconter au monde la « vérité » que nous avions vue de nos propres yeux, des rencontres inouïes avec des seigneurs de guerre et leur cour d’hommes armés jusqu’aux dents qui tripotaient leur pistolet ou leur poignard en souriant pendant que nous interrogions leur chef, la poignante tristesse qui s’emparait de nous face à des civils hébétés pris au piège, des femmes protégeant maladroitement leurs enfants alors que les balles entaillaient le mur du réduit où elles avaient trouvé refuge.
« Les médias ont subi longtemps avant de réagir, s’en prenant aux conséquences plutôt qu’aux causes. Faute d’argent, on licencie les journalistes au point d’arriver parfois à la caricature : un journal sans journalistes ou presque.
« Désormais, ils veulent faire valoir leurs droits pour pouvoir continuer à informer, ils demandent que soient partagées les recettes commerciales avec les producteurs de ces contenus, qu’ils soient médias ou artistes. C’est ça, les droits voisins ».
La gratuité d’Internet n’en serait pas menacé
« Et bien sûr, il faut cesser de gober le mensonge colporté par Google et Facebook selon lequel la directive sur les droits voisins menace la gratuité d’Internet. Non. La gratuité existera sur Internet car les géants du Net, qui captent actuellement les contenus éditoriaux gratuitement et engrangent des recettes publicitaires de ce fait, peuvent rétribuer les médias sans faire payer les consommateurs.
« Difficile ? Impossible ? Pas du tout. Facebook a réalisé un bénéfice en 2017 de 16 milliards de dollars (13,8 milliards d’euros) et Google de 12,7 milliards de dollars (10,9 milliards d’euros). Il faut tout simplement qu’ils paient leur écot. Ainsi les médias continueront à vivre et eux participeront au pluralisme et à liberté de la presse auxquels ils se déclarent attachés.
« Je suis convaincu que les députés abusés par un lobbying mensonger ont désormais compris que la gratuité d’Internet n’est pas en cause. Il s’agit de la défense de la liberté de la presse, car si les journaux n’ont plus de journalistes, il n’y aura plus cette liberté à laquelle les députés, quelles que soient leurs étiquettes politiques, sont attachés ».
Un sujet qui ne fait cependant pas l'unanimité
Tandis que certains soutiennent cette initiative, d'autres estiment qu'il revient aux médias de réinventer ses modèles : « Le Droit existe pour faire respecter la Justice. Pas pour établir des rentes à travers la création arbitraire de droits créances »
Source : Le Parisien
Et vous ?
Que pensez-vous des droits voisins ?
Les GAFAM devraient-ils, selon vous, être taxés lorsqu'ils publient des extraits d'articles en ligne ?
Les publications d'extraits contribuent-elles à faire baisser ou à faire augmenter le trafic des médias ?
Lorsque vous lisez un extrait d'article sur Google News par exemple, vous rendez-vous sur le site pour le lire en entier ou bien vous en contentez-vous ?
Partagez-vous l'opinion de ceux qui pensent qu'il revient aux médias de réinventer ses modèles ?
Dans ce cas, quelles solutions pourraient-ils envisager ?
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Le , par Stéphane le calme
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