La question des brevets logiciels fait l’objet d’un débat politique et technique opposant diverses parties dans lesquelles les lobbys industriels jouent un rôle de premier plan. Aux États-Unis, la jurisprudence est traditionnellement favorable à la protection des logiciels par brevet ; cependant, les décisions récentes paraissent relativiser cette position.
Un verdict d’une cour d’appel américaine a décrit ces brevets comme étant « le poids mort de l’économie nationale (américaine) » et une menace au premier amendement de la constitution américaine destiné à protéger la liberté d’expression. Le verdict a été émis par la U.S Court of Appeals en faveur de la Federal Circuit. Cette cour de justice spécialisée a été créée par le Congrès américain en 1982 afin d’éviter les disparités des décisions de justice à travers les États-Unis. Le verdict en question a invalidé trois brevets invoqués contre les firmes de sécurité Symantec et Trend Micro, en raison de la non-existence d’une invention brevetable. Ces brevets sont possédés par Intellectual Ventures, une firme qui a une réputation notoire de chasseur de brevets (patent troll), c’est-à-dire qu’elle recourt à la concession de licences et aux litiges de brevets comme principale activité économique.
Le juge Haldane Mayer a désapprouvé le mérite du brevet 5987610, qui réclame le monopole de l’utilisation des outils antivirus dans un réseau téléphonique. Pour Mayer, il est grand temps de reconnaitre que le célèbre verdict de la Cour Suprême en 2014 dans l’affaire connue sous le nom "Alice" a tout simplement mis fin à l’existence de brevets logiciels une fois pour toutes. Cette affaire avait mis en avant une firme qui clamait le monopole du dépôt fiduciaire puisqu’elle avait recréé le processus sur internet. Cependant, la Cour Suprême a invalidé les brevets en question, estimant que le service destiné à faciliter des transactions financières et implémenté sur ordinateur n’est pas éligible à une protection par brevet. La cour a défendu que les réclamations concernent bien des idées jugées abstraites, et leur implémentation sur un ordinateur n’est pas suffisante pour les transformer en un sujet brevetable. Pour la cour, le seul motif pour l'octroi d’un brevet est l’existence d’une amélioration technologique pour l’ordinateur lui-même.
Dans ce verdict, le juge Mayer pense que la décision survenue suite à l’affaire "Alice" doit suggérer que les logiciels ne sont pas brevetables. « Les logiciels se situent dans l’antichambre d’une invention brevetable. Parce qu’un logiciel génériquement implémenté constitue une idée qui n’est pas suffisamment liée à une structure physique autre que l'ordinateur standard, c’est un précurseur à la technologie au lieu d’être une technologie lui-même », écrit le juge.
Cette décision de la justice est aussi significative dans le sens où elle s’est intéressée au sujet des brevets logiciels dans le contexte de la technologie et des monopoles de gouvernements. Le juge Mayer a attiré l’attention sur ces monopoles de propriété intellectuelle qui peuvent limiter la liberté d’expression. Le juge note que les lois du droit d’auteur incluent des garanties pour la protection du premier amendement comme la “fair use”, et que les brevets doivent intégrer des dispositions similaires afin d’éviter tout abus. Le juge suggère également que ces dispositions doivent prendre part dans le Patent Act, connu sous le nom “Section 101”, qui stipule que des choses, incluant les idées abstraites, ne sont pas brevetables tout simplement.
En citant des passages de l’American Civil Liberties Union (ACLU) et l’Electronic frontier Foudation (EFF), Meyer écrit : « ‘Internet constitue la forme d’expression de masse la plus participative et elle mérite la plus haute protection de toute intrusion gouvernementale.’ Une application robuste de la section 101 au début des litiges va permettre d’assurer que les canaux essentiels de communication restent “libres à tous les Hommes et réservés exclusivement pour personne.” Toutes les préoccupations concernant le premier amendement associées à la protection par brevet pourraient être évitées si cette cour avait l’intention de reconnaitre que l’affaire Alice a mis fin aux brevets logiciels. » Le juge a ajouté que les logiciels sont une forme de langage et que la protection de propriété intellectuelle qui les couvre devrait être limitée au droit d’auteur, qui couvre également la musique et les livres, au lieu des brevets.
Afin de montrer l’impact des brevets sur l’industrie de technologie et le succès des patent trolls, le juge Mayer a mentionné l’affaire qui oppose Google à Oracle. Il écrit que le « système de brevets complexe et couteux ne correspond pas à l’industrie de logiciels qui évolue rapidement. » « Dans le régime actuel, ceux qui ont des notions vagues sur l’utilisation des ordinateurs pour l’automatisation de pratiques business et sociales bien connues, peuvent récolter d’importants dividendes financiers aux frais des firmes qui produisent réellement ces produits. »
Ce verdict dépeint la volonté de la justice américaine de limiter la portée des patent trolls comme Intellectual Ventures qui ont réalisé pendant des années des milliards de dollars en exploitant ces brevets. Néanmoins, les décisions récentes de la Cour Suprême et les changements opérés par le Patent Office ont fait qu’il est devenu maintenant plus difficile d’imposer des brevets, en conséquence, la chasse aux brevets est devenue moins lucrative.
Source : Fortune
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Le , par Coriolan
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